Glucksmann : La métamorphose du nouveau kamikaze du parti socialiste
Après les 6 % du PS aux présidentielles, c’est peut dire que le parti redoute l’échéance des Européennes. Le « syndrome Hamon » a dissuadé les ténors socialistes de se présenter. Quitter Solférino et presque 40 ans de souvenirs a été une épreuve douloureuse. Le PS végète désormais en soin palliatif sous perfusion de puissants antalgiques. L’acharnement thérapeutique devient insoutenable. Aucun médecin n’ose débrancher le mammouth. Martine Aubry surveille l’hôpital de Lille comme une lionne sa progéniture. L’indomptable pachyderme ne se gêne pas pour exprimer son dégoût aux vautours du gouvernement Macron pénétrant dans son hospice.
Le salut vient des ondes.
Vendredi 15 mars, un philosophe essayiste de 39 ans, Raphaël Glucksmann, propose à la radio d’être la tête de liste du mouvement « Place publique » en compagnie du PS. Le lendemain, les éléphants meurtris par le dernier scrutin n’éprouvent pas le besoin d’une grande concertation pour adouber ce messie. Les socialistes tiennent leur tête de gondole qui fera aussi office de tête de Turque.
Cette candidature introduit un second philosophe parmi les têtes de liste. Raphaël est souvent caricaturé en bobo urbain. Tout le monde n’a pas la chance de naître dans les choux ! C’est un luxe de venir au monde dans des conditions 100 % bio. On se moque aussi de la lenteur de son débit verbal alors qu’il est né à Boulogne-Billancourt. Autrement dit, loin de l’Alsace ou de la Suisse. Mais un philosophe cherche ses mots dès qu’il discute. Chaque son est pensé, au contraire de la majorité des gens regrettant de ne pas pouvoir revenir sur leurs mots. Concédons néanmoins que c’ est un candidat un poil deux de tension. On peut parier qu’avaler un comprimé de ritaline, le traitement quotidien de nombreux enfants hyperactifs, le priverait de récréation et qu’il ronflerait peut-être même encore au moment de la cantine.
Benoît Hamon, leader de « Génération.s », n’est pas résolu à rejoindre la chapelle Glucksmann. On imagine l’ex-kamikaze du PS faire les cent pas toute la journée : j’y vais, je n’y vais pas ? Il est dans la même situation qu’aux présidentielles où beaucoup d’électeurs espéraient qu’il se retire en apportant son soutien à Mélenchon. Candidat du PS en 2017, Hamon n’a pas craqué aux appels des gauchistes et a réalisé 6 %. Désormais, le Calimero du PS a quitté cette meute qu’il juge radioactive. Mais son mouvement ne réussit pas à s’imposer dans le paysage politique. L’ex-ministre doit pester, se sentant incompris de ses concitoyens. L’homme est beau, souriant, blagueur, il … Enfin, on ne va pas chipoter ! En principe, c’est suffisant pour réaliser un bon score aux élections… Comme Valls, il cultive l’art du contretemps politique : une popularité énorme hors élection et un quasi-anonymat à l’approche des urnes.
Le représentant de « Place publique », lui, a étudié au cossu lycée Henri IV avant d’entrer à l’institut d’études politiques de Paris.
À 26 ans, Glucksmann est un des fondateurs de la revue conservatrice « Le meilleur des mondes ». Ce magazine défend le libéralisme économique et le bien fondé des guerres menées par les Américains en Afghanistan et en Irak. L’absence de preuve d’armes de destruction massive en Irak ne modifiera pas la ligne éditoriale de la revue.
Le garçon n’avait pas encore 30 ans : un âge où la guéguerre fait recette. Dans chaque armée, les jeunes occupent les premières lignes. On martèle aux blancs-becs de tuer le plus de méchants possibles. Le reste n’a aucune importance. La contemplation du penseur et l’écriture de deux livres en 2008 ne suffisent pas à le nourrir de cinq fruits et légumes par jour ni à le loger dans un endroit « fréquentable ». Raphaël abandonne la plume. Il décide de s’émanciper par le pognon. De 2009 à 2015, il devient gérant de « Noé Conseil », société spécialisée dans la communication et le conseil auprès d’institutions. Il atteint un chiffre d’affaires de 100 000 euros en 2015 ! Le philosophe est à deux doigts de pisser du fric à cette époque.
Glucksmann effectue un virage idéologique à 180 degrés en devenant simple chroniqueur radio sur le service public en 2017. L’écologie prend alors possession de son âme. Il sort davantage la tête de ses lectures. Le philosophe se documente et découvre l’injustice de notre société. L’ex-conservateur se métamorphose en Don Quichotte. Avec Claire Nouvian, réalisatrice de documentaires animaliers, et Thomas Porcher, économiste atterré, il crée « Place publique » en octobre 2018. Il s’agit d’un mouvement citoyen désirant unir les partis de gauche aux Européennes. Le même mois, son livre paraît : « Les enfants du vide ». Il y dénonce le logiciel néolibéral et le désastre écologique en cours. Son passé de partisan de la politique de Bush fils s’éloigne. En réponse aux gilets jaunes, il répète qu’il désire autant lutter contre les fins de mois que contre la fin de l’espèce humaine.
Seul devant son clavier, à pianoter ses pensées, l’écrivain a sans doute besoin d’un bon bol d’air et de tâter de l’humain. Il part en tournée dans toute la France convaincre la population de l’urgence de rassembler la gauche. La fin de ses représentations oratoires se conclut par des dédicaces de son dernier essai. Approchant les 100 000 exemplaires vendus, il devient également un candidat sérieux à la sérotonine de Houellebecq. De Dunkerque à Clermont-Ferrand, il prêche le mariage de l’écologie et du social, comme tous candidats de gauche. Même le parti communiste s’est converti à l’écologie ! Et c’est bien le problème. Malgré plusieurs tractations, Verts et Insoumis n’ont aucune envie de recycler Glucksmann dans leur paysage.
À l’annonce de la candidature officielle de Glucksmann comme tête de liste, le trio fondateur de « Place publique » devient vite un tandem.
L’économiste « atterré » se sent trahi. Avec un qualificatif pareil, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il saute de joie… Thomas Porcher ne désire pas jouer le rôle ingrat de Sancho : « On avait identifié quatre urgences. Je ne savais pas qu’il y en avait une cinquième, se faire élire à tout prix. » L’économiste compare cette candidature à « un nouvel emballage d’un produit périmé ». L’acharnement thérapeutique envers le PS se poursuit malgré l’obtention de nouveaux pansements.
L’essayiste ne semble pas ébranlé par ce départ. Sous les projecteurs, il jubile. Il a l’air plus déconnecté de la réalité que jamais. Aux journalistes rappelant sa volonté d’éviter la multiplication des partis de gauche au scrutin, il répond comme une rengaine que d’autres mouvements politiques le rejoindront. L’homme paraît avoir été ensorcelé par les cadres du PS qui jouent la survie du parti. Telle Ségolène Royal louant la « bravitude » devant la muraille de Chine, l’aveuglement de ce Don Quichotte effraye certains socialistes. Ils redoutent d’avoir misé sur un cheval fou et réclament une autre tête de liste. Glucksmann n’a pourtant rien d’un électron libre. Il a juste remplacé sa dénonciation du logiciel ultralibéral par un logiciel interne « attrape-tout ». La droite, la gauche, on s’en fout après tout… « Cap 21 » l’a bien compris. Le mouvement écologique ayant soutenu Macron en 2017 se rapproche du philosophe. Les tractations continuent dans chaque camp.